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Pierre qui Roule.com

Le véritable esprit de révolte consiste à exiger le bonheur, ici, dans la vie ! (H.Ibsen)

A l'heure ou l'ASEI finance avec l'argent public des contrôles maladies patronnaux : article de Rue 89 !

Pire que l’absentéisme, le « présentéisme » des salariés malades

Elsa Fayner | Journaliste

 

Diminué, vous êtes moins productif et coûtez plus cher à votre entreprise. Surtout, « une machine déjà abîmée finit par craquer »... et battre des records d’absentéisme.



Autoportrait au thermomètre (Audrey Cerdan/Rue89)

Paul exhibe d’un geste dramatique son doigt enturbanné dans un gros pansement. Le quadragénaire travaille à la plonge dans un hôtel-restaurant pour hommes d’affaires, à Lille. Il s’est coupé profondément avec une boîte de conserve dans une poubelle. Il s’en veut, il aurait dû bien la fermer avant de taper dessus pour qu’elle prenne moins de place, on le lui a toujours dit.

Il est très ennuyé, il ne veut pas s’arrêter de travailler, même si son doigt n’est pas cicatrisé. Il a mis cinq ans à trouver un emploi, et ce n’est pas maintenant qu’il va le laisser filer.

Ça s’appelle du « présentéisme » : venir travailler même quand on sent que son état de santé nécessiterait de rester chez soi. Ses motivations sont diverses :

  • sentiment d’être indispensable,

  • peur des représailles,

  • respect d’une échéance,

  • refus de voir son revenu baisser.

Pratiquement quatre travailleurs européens sur dix sont allés travailler alors qu’ils étaient malades en 2010, selon l’enquête européenne sur les conditions de travail. Cette pression concerne particulièrement les soignants, les enseignants et les travailleurs sociaux. Le phénomène n’est pas nouveau mais se répand, constate Michel Vézina, chercheur en santé publique à Québec.

Une bonne nouvelle ? Pas si sûr. Ni pour l’entreprise, ni pour le salarié.

Des salariés moins productifs

Claire travaille par missions, dans la publicité. Quand elle doit répondre à un appel d’offres un vendredi soir ou se remettre à l’ouvrage un dimanche, elle a droit à des jours de récupération. Et pourtant :

« Je repousse le moment de les prendre, me disant qu’il faut que je termine les projets commencés, pensant que je vais tenir, et j’arrive à un moment où je n’en peux plus physiquement, mais surtout mentalement. Je n’ai plus envie de rien. Et j’ai du mal à me motiver pour bosser, je deviens lente, déprimée, et j’ai du mal à repartir. »

Au point d’être moins efficace au travail ? Tout à fait, répond l’Institute for Health and Productivity de l’université Cornell aux Etats-Unis, qui a compilé les études menées sur la productivité au travail en lien avec différentes maladies (asthme, arthrite, allergies, migraines, etc.).

Ça coûte cher à l’entreprise

Les chercheurs américains ont ensuite essayé de savoir si ces travailleurs au nez bouché – ponctuellement moins productifs – apportaient malgré tout quelque chose à l’entreprise, en se penchant sur le cas de 375 000 salariés.

Comment savoir si l’on fait du présentéisme ?

Les symptômes suivants peuvent vous alerter, selon Michel Vézina : perte de concentration, de mémoire et d’attention (oublis, erreurs), diminution du rythme de travail, sentiment de fatigue intense au travail, problèmes de ponctualité, relations difficiles avec les collègues, irritabilité, isolement, diminution de la qualité des services.

Résultat : un salarié malade et présent ne rapporte en moyenne rien à son employeur. Au contraire, il lui coûte.

Un salarié affaibli s’avère en effet moins concentré sur sa tâche, effectue un travail qui doit parfois être refait, communique mal... Il fait ainsi perdre du temps à ses collègues et, au final, à l’entreprise.

La recherche a été publiée en 2004, et depuis de nouvelles études ont vu le jour. Michel Vézina, responsable d’une enquête québécoise [PDF] sur les conditions de travail, les a compilées :

« Le présentéisme coûte minimalement de deux à trois fois plus cher que l’absentéisme. Certaines études font même état de dix fois plus ! »

Quand le salarié est présent, c’est l’entreprise qui le paie, en salaire, mais quand il est absent, c’est la Sécurité sociale qui verse des indemnités journalières.

Ça rend encore plus malade

Sur son blog, Docteurmilie, médecin généraliste en Seine-Saint-Denis, raconte à quel point elle doit se battre avec ses patients pour leur coller des arrêts maladie. Elle évoque par exemple « Mme B., gardienne », qui est venue la voir le coude en tendinite :

« Elle a refusé à de nombreuses reprises mes arrêts, que pourtant j’avais rédigés et lui avais donnés. Elle ne veut pas s’arrêter, son travail c’est toute sa vie, elle est hyperactive. Elle a tenu le coup jusqu’à ce que le tendon se déchire et maintenant, cela fait plus d’un mois qu’elle est en arrêt. »

C’est le problème : quand « on utilise une machine déjà abîmée, elle finit par craquer », prévient Michel Vézina. Les salariés qui pratiquent le présentéisme sont plus largement sujets aux maladies de long terme, qui les empêchent durablement de reprendre le travail. Et battent des records... d’absentéisme, selon une étude [PDF] du National Institute for Working Life, en Suède.

Ils sont également davantage concernés, d’après la même enquête, par :

  • les troubles du sommeil ;

  • les problèmes digestifs ;

  • les douleurs dans le dos ou la nuque ;

  • un sentiment de déprime.

Enfin, les salariés qui font du présentéisme ont deux fois plus de problèmes coronariens sérieux (type infarctus), comme l’ont démontré des chercheurs américains.

Ecouter ce que dit le présentéisme

Pour Michel Vézina, spécialiste en santé publique, il faut donc considérer le présentéisme comme un indicateur de santé important dans l’entreprise :

« Le présentéisme n’est pas l’animal à traquer… Quand il est élevé, il faut s’interroger sur l’organisation du travail. »

Pas facile en France, remarque Alexis Motte, qui a réalisé pour son cabinet Mobilits, avec OpinionWay, une enquête sur la mobilité au travail dans l’Hexagone :

« En France, il faut montrer qu’on est là, nettement plus qu’en Europe du Nord, et beaucoup plus que dans les groupes anglo-saxons où c’est une marque d’incompétence que d’être encore là à 21 heures. »

Alors venir travailler quand on est malade...

Et vous, vous arrive-t-il de venir travailler alors que vous sentez qu’il faudrait mieux resté alité ? Pour quelles raisons ? Pouviez-vous faire autrement ?

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